Lettre ouverte à Bruno LE MAIRE
Lettre ouverte à Bruno LE MAIRE
Monsieur le Ministre,
Vous venez d’annoncer l’augmentation du volume d’AReNH. Vous obligez ainsi EDF à fournir à ses concurrents de l’électricité dont elle ne dispose pas et qu’elle sera contrainte d’acheter à un prix exorbitant pour ensuite la brader. Ceci constitue une spoliation et une inacceptable fragilisation d’Electricité de France, opérateur public.
Face à la flambée des prix de l’énergie et préserver le pouvoir d’achat de nos concitoyens, il y a deux options.
L’option de la spoliation et de la fragilisation d’EDF peut apparaître a priori la plus rapide. Mais n’oublions pas qu’après avoir fragilisé EDF, il faudra construire un avenir durable qui assure la sécurité d’approvisionnement et qui intègre les conséquences du dérèglement climatique . Et ne nous voilons pas la face : cela sera long et difficile, car il faudra préserver l’unité de la Nation, rétablir de manière durable la stabilité dans un monde durement affecté par le choc climatique et les crises énergétiques et sanitaires.
Face à de telles perspectives, il y a une autre alternative, celle offerte par la reconnaissance des missions d’intérêt général et du caractère de bien essentiel de l’électricité, celle qui implique une refonte complète du dogme de la concurrence. Au bout du compte, ce choix-là n’est-il pas le plus sûr ?
Personne ne peut donc affirmer aujourd’hui que le chemin de la fragilisation d’EDF sera plus sûr que celui du retour à la primauté du service public. Personne ne peut affirmer non plus qu’il pourrait déboucher sur un monde plus sûr, plus juste et plus stable pour nos concitoyens. C’est plutôt l’inverse qui se profile. Car la fragilisation et la spoliation d’EDF sont la sanction d’un échec de votre politique et des décisions depuis plus de vingt ans.
Nous partageons tous une même priorité, celle d’offrir grâce à l’électricité un avenir durable à la Nation française dans un monde où la lutte contre le dérèglement climatique exige une détermination totale.
Monsieur le Ministre, à ceux qui se demandent avec angoisse quand et comment nous allons réussir notre transition énergétique bas carbone, nous voudrions dire que rien ne sera le fait de la précipitation, de l’incompréhension, de la suspicion ou de la peur.
Nous salariés d’EDF, nous sommes les gardiens d’un idéal, nous sommes les gardiens d’une conscience. La lourde responsabilité et l’immense honneur qui sont les nôtres doivent nous conduire à donner la priorité à la réussite d’une transition bas carbone de la France qui assure l’avenir de la Nation et qui soit juste en préservant notamment les plus démunis d’entre nous et notre économie.
Et c’est une vieille entreprise, Électricité de France, au service d’une vieille Nation au sein d’un vieux continent, qui a relevé le défi de l’après-guerre, des crises énergétiques, des tempêtes et qui a toujours été au service de la Nation, qui vous le dit aujourd’hui.
Une entreprise qui n’oublie pas et qui sait tout ce qu’elle doit à l’engagement de ses salariés au service des Français. Et qui pourtant n’a cessé de se tenir debout face à l’Histoire et devant les Hommes. Fidèles à leurs valeurs, ses salariés agiront demain comme aujourd’hui résolument au service de la Nation. Nous croyons, nous salariés d’EDF, à notre capacité à construire ensemble un monde meilleur !
Dès lors, Monsieur le Ministre, nous vous demandons de surseoir à cette décision inique et mortifère de relèvement du plafond de l’AReNH, et de demander à EDF de se mobiliser, conformément à ses valeurs de service public, pour permettre à nos concitoyens, notamment les plus fragiles, de pouvoir faire face à la hausse de prix de l’énergie. Cette démarche ne vous exonère pas, bien au contraire, au moment où la France préside les destinées de l’Union européenne, de remettre à plat le marché européen de l’électricité, en abandonnant le dogme de la concurrence promu par des apprentis sorciers et en privilégiant l’intérêt général et le service public. Car affaiblir EDF, ce n’est pas uniquement affaiblir la France, mais c’est un coup porté à l’avenir de l’Europe, à son économie tout entière et à sa capacité à respecter ses engagements climatiques pris devant les Nations Unies.
L’Histoire jugera.
NB : Lettre ouverte qui s’appuie dans la forme sur le discours de Dominique de Villepin le 14 février 2003 préparé par Bruno Le Maire alors Chef de cabinet.