Réforme du marché de l’énergie
Pour réformer le marché de l’énergie face à la crise, l’Union Européenne gagnerait à s’inspirer du pragmatisme d’autres pays
Lors du Conseil Énergie extraordinaire du 9 septembre 2022, les 27 ministres de l’Énergie de l’Union européenne (UE) ont donné mandat à la Commission européenne de faire des propositions qui devront être adoptées d’ici fin septembre afin d’atténuer, à défaut de résoudre, l’actuelle crise des prix de l’énergie. Plafonnement des revenus des producteurs d’électricité, plafonnement des prix du gaz, contribution des compagnies pétrolières, gazières et du charbon ou réduction de la demande en électricité à la pointe… telles sont les mesures figurant parmi les priorités de l’actuelle présidence tchèque de l’UE.
Face à cette crise énergétique, la CFE Énergies note la volonté affichée des dirigeants de trouver des solutions pour éviter la récession économique qu’accompagne une inflation nourrie par la flambée des prix de l’énergie. Il y a d’autant plus urgence à réagir que nombre de citoyens européens comme l’économie du Vieux Continent font face à des prix de l’électricité multipliés par dix, et ceux du gaz par cinq, depuis le printemps 2021.
Pour autant, la mise en œuvre des mesures aujourd’hui envisagées risque fort d’être une route semée d’embûches au regard des questions que posent ces mesures et de leurs difficultés techniques et juridiques. Alors que la France s’interroge sur le principe d’un plafonnement des revenus des producteurs d’électricité qui serait uniforme pour toutes les technologies et pour tous les États-Membres, les développeurs d’énergies renouvelables sont déjà montés au créneau pour défendre leurs rentes mises en danger par ce plafonnement, oubliant un peu trop facilement le soutien public massif dont ils ont bénéficié jusqu’à présent ou que ce plafonnement est destiné à soutenir les citoyens européens qui sont les premiers à souffrir de cette crise des prix de l’énergie. De leur côté, certains analystes considèrent que l’instauration d’un prix plafond du gaz pourrait conduire à la réduction des importations et donc de l’offre, avec pour effet une nouvelle hausse des prix. Comme le disait un ancien président de Gaz de France, « le diable se cache dans les détails ».
La CFE Énergies appelle surtout les ministres européens comme la Commission à s’attaquer sans délai à la racine des problèmes et donc à la réforme structurelle du marché de l’énergie : le nécessaire travail sur les mesures urgentes et temporaires ne doit en aucun cas voiler cet enjeu. À l’automne 2021 quand la flambée des prix a commencé sur les marchés, les édiles bruxellois en étaient restés à leur défense des principes d’une loi du marché parée de toutes les vertus, considérant que la crise n’était que temporaire et qu’aucune réforme n’était nécessaire. Quant à la nouvelle présidente de la Commission de Régulation de l’Énergie, elle n’hésite pas à continuer à affirmer que le marché a eu des effets bénéfiques jusqu’à la crise actuelle, oubliant que par le passé, le marché a déjà prouvé son inefficacité. Dès lors, la CFE Énergies dénoncera toute procrastination à ne pas s’attaquer aux racines du mal malgré les beaux discours sur les défaillances du marché.
La CFE Énergies s’étonne ainsi que les dirigeants européens aient la mémoire courte face au pouvoir de marché de Gazprom qu’ils fustigent aujourd’hui mais qu’ils lui ont eux-mêmes donné en refusant la stratégie de diversification d’approvisionnement énergétique pourtant prônée dès 2000 et en construisant une Europe de l’énergie sur la seule libéralisation des marchés. C’est en effet la suppression des monopoles d’importation qui découla de cette libéralisation qui a de facto renforcé le pouvoir de marché des pays producteurs de gaz. Tout aussi surprenant est leur refus d’admettre que c’est le principe même d’un marché européen de l’électricité totalement libéralisé qui fait perdre à chaque État-Membre le bénéfice d’un prix de l’électricité qui ne serait assis que sur le coût du mix de production national et sur le solde des échanges via les interconnexions.
Puisque gouverner c’est prévoir, les dirigeants européens, s’ils sont sincères dans leur volonté d’apporter des réponses durables à la crise que connaissent les citoyens européens et d’assurer leur sécurité énergétique, doivent remettre en cause la logique purement libérale d’un marché de l’énergie trop stratégique pour être gouverné par les seules lois du marché.
Dans cette perspective, la CFE Énergies appelle les dirigeants européens à s’inspirer du dernier rapport des services de la Commission décrivant l’évolution des prix de l’électricité au sein du G20. Ce rapport démontre que l’effet de la concurrence sur les prix est plus que décevant et que c’est en Europe que les prix de détail sont les plus élevés, pour les consommateurs comme pour les entreprises. L’actuelle flambée des prix ne fait que renforcer ce constat plus que défavorable pour l’Europe, sa compétitivité et le niveau de vie de ses citoyens face aux autres pays du G20.
Force est aussi de constater qu’aux États-Unis, ce sont les États ayant opté pour la concurrence intégrale à l’aval qui connaissent des prix plus élevés et en plus forte hausse que les États ayant gardé un marché aval et des prix régulés, voire un monopole public. Ces derniers sont d’ailleurs ceux qui protègent le mieux leurs citoyens en leur faisant bénéficier de la compétitivité du mix de production propre à chaque État. De quoi voir un lien entre refus de la concurrence à tout prix, compétitivité du mix énergétique et en particulier électrique, et attractivité économique et industrielle.
Gains plus qu’incertains de la concurrence, insuffisance du marché pour garantir la sécurité d’approvisionnement pourtant essentielle à la prospérité économique, à la souveraineté politique et à la société numérique… la CFE Énergies est persuadée que les dirigeants européens doivent engager une réforme en profondeur du marché européen de l’énergie plutôt que des mesures cosmétiques et conjoncturelles. Puisque nul autre endroit au monde n’a mis en œuvre une ouverture du marché de l’énergie aussi profonde et uniforme qu’en Europe, et que la comparaison au sein du G20 n’est guère flatteuse pour le choix libéral européen, ces dirigeants seraient bien avisés de s’inspirer du modèle américain ou canadien où chaque État ou Province est libre de définir son degré de dérégulation du marché de l’énergie. On ne pourra pourtant pas nier que ces pays connaissent un degré d’intégration politique et économique bien plus grand que l’Union européenne.
La CFE Énergies demande par conséquent au Gouvernement, qui ne cesse de défendre une réforme en profondeur du marché et de revendiquer la possibilité de faire bénéficier les consommateurs français de la compétitivité du mix de production français, de porter cette idée de dérégulation subsidiaire qui laisse chaque État-Membre libre de choisir son degré de dérégulation et qui est fidèle à l’esprit des pères fondateurs de l’Europe, à savoir l’unité dans la diversité. Car sans liberté dans le degré de dérégulation, il ne peut y avoir de défense du bénéfice des choix nationaux de mix électrique pour les citoyens.
Plutôt qu’aveuglement idéologique et concurrence factice où « c’est la meilleure équipe de relations publiques qui gagnera », comme l’écrivait Marcel Boiteux en 2011, la CFE Énergies rappelle que c’est d’intérêt général et de régulation publique dont le secteur énergétique européen a urgemment besoin. Ne dit-on d’ailleurs pas « errare humanum est, perseverare diabolicum » ?