Europe de l’énergie : quel avenir ?
La CFE Énergies appelle à un sursaut pour assurer l’avenir de l’Europe de l’énergie
Alors que les difficultés à assurer l’approvisionnement énergétique l’hiver prochain en France contraignent le Gouvernement à renoncer à la fermeture des centrales à charbon, c’est l’ensemble de l’Europe qui fait aujourd’hui face à un risque de rupture des approvisionnements gaziers venant de Russie.
La CFE Énergies constate donc avec intérêt la volonté aujourd’hui affichée par la Commission européenne d’organiser des achats groupés de gaz et de développer des contrats de long terme pour renforcer le pouvoir de négociation de l’Europe face aux pays producteurs, comme en témoigne le nouveau partenariat que la Commission souhaite nouer avec les pays du Golfe, à supposer que ces derniers ne se regroupent pas de leur côté. Elle salue tout autant la volonté d’accélérer le développement des gaz renouvelables en Europe, gaz qui, en plus d’être des vecteurs de la décarbonation et donc de la neutralité carbone, ont le mérite de renforcer notre autonomie stratégique.
Dans le même temps, la Commission vient d’annoncer un partenariat avec les États-Unis sur les approvisionnements en GNL, à une hauteur de 15 Gm3. Si le souci de diversification des approvisionnements gaziers de l’Europe va indéniablement dans le bon sens, la recherche de la fin de la dépendance au gaz russe ne doit pas pour autant conduire à de nouvelles dépendances qui fragiliseraient l’autonomie stratégique de l’Europe.
De plus, le manque criant de capacités européennes de regazéification voire d’interconnexion des réseaux, le temps nécessaire à construire de telles nouvelles capacités comme les difficultés à détourner, en surenchérissant, les livraisons de GNL destinées à un marché asiatique plus rémunérateur posent de nombreuses questions. Il en est de même de l’empreinte carbone GNL qui s’avère plus lourde que celle du gaz naturel transporté par gazoduc, et du bilan environnemental du GNL issu du gaz de schiste américain peu compatible avec le Green Deal défendu par la Commission. La CFE Énergies alerte enfin, comme les fédérations syndicales européennes, sur les impacts sur la compétitivité économique de l’Europe ainsi que sur les emplois et le pouvoir d’achat des citoyens du renchérissement du coût du gaz issu de ces nouvelles importations.
Nul ne doit non plus oublier que c’est l’ouverture des marchés européens de l’énergie qui a conduit à la suppression des monopoles d’importation des opérateurs gaziers européens et donc au renforcement du pouvoir de marché du monopole d’exportation de Gazprom. Cette même foi dans la main invisible du marché a d’ailleurs conduit la Commission à encourager la primauté des approvisionnements gaziers sur le marché spot et la sortie des contrats long terme, et donc à exposer, sans mécanisme amortisseur, les Européens aux flambées brutales sur les marchés du gaz, telle celle à laquelle nous assistons depuis un an, avant même la crise russo-ukrainienne.
La CFE Énergies espère donc que le revirement de la Commission auquel on assiste aujourd’hui n’est pas qu’une réaction dictée par la panique du moment, et qu’il donnera le signal d’une véritable politique industrielle bas carbone, pragmatique et souveraine sur le long terme.
Elle demande par conséquent qu’un véritable bilan de l’ouverture des marchés, honnête et sans tabou, soit réalisé pour que le futur de l’Europe de l’énergie repose non sur des dogmes ou des effets d’annonce, mais sur des faits et sur l’intérêt réel des entreprises et des citoyens européens, en d’autres termes sur l’intérêt général.
C’est d’autant plus important que cette ouverture des marchés de l’énergie et l’intégration des marchés nationaux à la maille européenne qui en a résulté, ne sont pas étrangères à l’indexation croissante des prix de l’électricité sur ceux du gaz et à la formation des prix à la maille européenne, et que nombre de dirigeants veulent aujourd’hui remettre en cause au nom de l’intérêt des consommateurs. Puisque les mécanismes économiques européens ne permettent pas de sécuriser l’approvisionnement, il est plus que temps de ne pas transformer la persévérance dans l’ouverture des marchés en obstination.
Si la crise actuelle doit servir d’électrochoc pour sortir du dogme libéral qui a jusqu’à présent présidé à la politique européenne de l’énergie, elle le doit tout autant en matière de mix énergétique. Sourde aux recommandations de l’Agence Internationale de l’Énergie pour sortir de la dépendance excessive au gaz russe, la Commission a en effet refusé de faire de la neutralité technologique bas carbone la boussole de sa communication du 8 mars « RepowerEU » et de celle du 25 mars.
En évitant soigneusement d’évoquer le nucléaire comme une des solutions à la crise, la Commission occulte le fait, reconnu par de plus en plus d’acteurs, que le nucléaire fait bel et bien partie de la solution pour un monde neutre en carbone, solution qui assure la compétitivité, la stabilité et la souveraineté énergétiques. C’est d’ailleurs le choix que s’apprêtent à faire les Britanniques qui considèrent que le développement de nouvelles capacités nucléaires est un des principaux moteurs de leur sécurité énergétique.
Il est donc fort regrettable que la Commission préfère, comme certains eurodéputés lors des débats sur la révision de la directive sur les renouvelables, s’enfermer dans une fuite en avant en faveur des seules énergies renouvelables et de l’hydrogène vert. Cette fuite en avant semble lui faire oublier que la sécurité électrique de l’Europe passe par le maintien et le développement de moyens pilotables bas carbone de production d’électricité. À l’heure où le passage de l’hiver prochain donne des sueurs froides, un tel aveuglement serait on ne peut plus coupable.
Puisque les dogmes semblent avoir encore la peau dure à Bruxelles, la CFE Énergies appelle plus que jamais les dirigeants européens à faire de la crise actuelle le terreau d’une révolution intellectuelle. Elle seule, par les priorités données à la souveraineté, la sécurité et la compétitivité des approvisionnements énergétiques et le souci des biens communs, assurera l’avenir de la construction européenne.